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Chroniques
Carl Heinrich Graun
Montezuma | Moctezuma
Motēcuhzōma Xōcoyōtzin (1466-1520), le dernier empereur des Aztèques, est devenu familier aux Européens sous le nom de Moctezuma, puis Montezuma, suite à sa capture et à l’invasion du Mexique par les Espagnols, conduits par Hernán Cortés (encore écrit Cortez). Plus d’une trentaine d’opéras raconte la chute de son empire, depuis le Motezuma (1733) d’Antonio Vivaldi [lire notre critique du DVD] jusqu’à La conquête du Mexique (1991) de Wolfgang Rihm ou, plus contemporain encore, Montezuma – Fallender Adler (2010) de Bernhard Lang. La tragedia per musica en trois actes de Carl Heinrich Graun fut conçue en 1755, d’après un livret de l’empereur Frédéric II de Prusse (1712-1786).
En 1735, ancien élève de la Kreuzschule de Dresde où il développe sa maîtrise du clavecin, du violoncelle et de la voix (ténor), Graun (1704-1759) fait ses débuts de vice-maître de chapelle auprès du futur souverain qui le fait monter en grade cinq ans plus tard, lors de son accession au trône. Frédéric II affiche des ambitions littéraires : il écrit odes, satires et surtout cet Anti-Machiavel dont le manuscrit, justifiant la nécessité de gouverner selon la raison et l’abandon des conquêtes militaires, recueille les éloges de Voltaire – le philosophe avec lequel débute une amitié épistolaire, une dizaine d’années avant la brouille de Postdam. Il souhaite également un opéra de cour. Pour l’Opéra Unter den Linden bientôt accessible, le musicien a pour mission de recruter des chanteurs en Italie. Du 7 décembre 1742, jour d’inauguration qui voit la création de Cesare e Cleopatra, à 1756, Graun va y présenter parfois jusqu’à trois ouvrages par an : Adriano in Siria, Demofoonte, Cajo Fabricio (1746), Cinna, L'Europa galante, Ifigenia in Aulide (1748), Mithridate, Armida, Britannico (1751), etc.
Avant que son compositeur favori et ses vingt-huit opéras tombent en désuétude à l’arrivée de Christoph Willibald Gluck – Graun et Hasse, eux-mêmes, avaient éclipsé Bach et Händel en se mettant au diapason de Scarlatti –, Friedrich der Große commence donc à rédiger Montezuma, dans lequel il dresse le portrait du despote éclairé. Écrit en français puis traduit en italien par le poète de cour Giampietro Tagliazucchi, son texte s’inspire de l’Histoire ainsi que d’Alzire ou les Américains (1736), une tragédie signée par l’auteur de Candide. L’œuvre est créée le le 6 janvier 1755, à la Hofoper de Berlin, avec le soprano Giovanna Astrua, le castrat alto Porporino et le castrat mezzo-soprano Giovanni Amadori.
Ressuscité par la Deutsche Oper Berlin en novembre 1981, l’ouvrage remanié (coupes dans les récitatifs seccos et autres da capos jugés trop longs pour une époque ne fréquentant qu’Händel et Gluck, retraductions, inserts, etc.) s’achemina l’année suivante vers Drottningholm et Bayreuth. C’est à la Markgräfliches Opernhaus de cette dernière que fut filmée la mise en scène d’Herbert Wernicke – avec un son perfectible. On y découvre une cour raffinée du XVIIIe siècle, vantant l’amour et l’indulgence avant de ramper (au propre et au figuré), deux heures plus tard, au pied d’un Christ en croix. Des cartons résument judicieusement l’action de chaque scène à venir, ce qui permet d’aborder l’ouvrage sans préparation particulière.
Souverain paternaliste, sans orgueil et ennemi de la trahison, Montezuma est incarné par Alexandra Papadjiakou dont l’impact change en fonction de la registration. Sophie Boulin (Eupaforice) possède un timbre séduisant en sus d’un legato mozartien. Bien distribuée, Gudrun Sieber (Erissena) offre un chant clair et fort serti. Catherine Gayer (Tezeuco) séduit par l’agilité et la sûreté extrême de ses vocalises. Barbara Vogel (Pilpatoè) s’avère tout à la fois ferme, précise et brillante. Baryton coloré, Walton Grönroos (Cortes) ne déçoit pas, tandis que Karl-Ernst Mercker (Narvès) possède une rondeur de timbre qui compense certaines instabilités. L’Orchestre de la Deutsche Oper Berlin, pas inoubliable, est conduit par Hans Hilsdorf.
LB